LE TEMPS

Lundi 29 octobre 2001 FESTIVAL

A Neuchâtel, les spectacles de la Semaine de la marionnette manipulent mots et images

Les Russes du Axe Group jettent feu et eau sur scène Utiliser la langue, les mots, comme des objets de manipulation. Plusieurs des spectacles vus lors du premier week-end de la Semaine internationale de la marionnette en pays neuchâtelois partageaient d'une façon ou d'une autre cette approche. Il en est ainsi d’En Equilibre indifférent, où les Ateliers du spectacle tissent avec le jeu des acteurs et les objets la merveilleuse « leçon » de linguistique de la poétesse Nathalie Quintane, une des révélations de la poésie française actuelle. Ou de Lili Mélodie, spectacle multilingue pour enfants où Catherine Sombsthay prend pour personnage principal une histoire: « Je m’appelle Il-était-une fois... ». Et même le farceur de la Commedia dell'arte, Pulcinella, tel que le fait vivre par delà ses 500 ans d'histoire, Salvatore Gatto, fait virevolter son patois napolitain avec autant d'agilité que ses coups de bâton. Par contre, dans le grandiose Pooh and Prah (Plumes et cendres) du Axe Group de Saint-Pétersbourg, il n'y avait pas de mots, si ce n'est sur des lettres d'amour pleines de trous, déchirées, à l'encre effacée.

Rendez-vous avec la mort
Une heure durant, samedi soir, les images se sont enchaînées - déchaînées ? - alliant les rythmes et schémas des films muets et ceux de la performance d'art contemporain. Jana Markova Toumina, Maxim Isaev et Pavel Semtchenko ont mis sens dessus dessous la petite scène du Théâtre du Passage. Toutes les tempêtes du monde ont soufflé là. Celles qui coulent les navires, celles qui violentent les âmes et les coeurs. Il y a eu là des départs, des attentes, des rendez-vous avec l'amour et avec la mort, sur l'ensemble de la scène ou, par la grâce d'un soudain changement d'échelle, sur un coin de table. Pooh and Prah, ce n'est pas une histoire, mais un éclatement du narratif et des personnages impossibles à résumer. Désignons tout de même Elle, Lui et l'Autre. Cet Autre qui arrive sur scène torse velu et visage rougeoyant avant de se baigner dans les éclats stroboscopiques d'une lumière bleutée et d'enfiler un costume trempé. Comme Si Satan voulait tempérer son feu avec quelque eau bénite avant de se plonger dans le marasme terrestre du bien et du mal. Car l'Autre est bien le dieu, le diable ou le destin - comme on voudra - d'Elle et Lui dans ce spectacle qui se déroule comme un bout de voyage, entre deux valises faites et refaites. Et le voyage n'est pas sans risques : on verra par exemple un bateau de papier couler dans une petite mare de lait et de vinaigre, ou encore une spirale de sciure mouillée de pluie emplir la scène telle une île de désespérance.

Elisabeth Chardon